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En 2003, lorsque trois informaticiens employés par Google déposent le brevet « Générer des informations utilisateur à des fins de publicité ciblée », un projet de captation de comportement massif se met en place dans l’ombre de l’innovation. C’est une nouvelle étape dans le capitalisme : l’individu et plus précisément la donnée qu’il produit devient une matière première pour le profit. Pour générer ces informations, le flux de données nécessite d’être le plus riche possible, augmentant d’autant plus les technologies de captations dans notre environnement. L'exemple notoire du metaverse illustre cette idée de technologie de captation : les casques VR sont des dispositifs de vision qui peuvent être extrêmement fins, et pourvoyeurs de nouvelles données, notamment biométriques.
Ces différents types de dispositifs de vision se multiplient exponentiellement, caméra portative, micro, infrastructure GSM toujours plus efficaces et constellations satellitaires, l’industrie de la surveillance s’immisce dans chaque recoin de notre environnement sociotechnique. «Vidéosurveillance» était le nom des dispositifs de surveillance vidéo, jusqu’à ce que la loi LOPPSI 2 de 2011 vienne le changer en « vidéoprotection ».
On voit bien ici un renversement de paradigme qui s’inscrit dans une banalisation et une normalisation d’environnement étouffant de technologies de surveillance. Cette normalisation trouve également son origine dans la croyance à une véracité absolue des images. «Ce qui est vrai, c’est ce que l’on voit.» nous cite satiriquement Pauline Picarda et Élodie Tuaillon-Hibon, avocates au barreau de Paris en 20171.
1« Réflexions sur l’usage et la place de la vidéo dans le procès pénal en France - Procédure | Dalloz Actualité » dallozactualite.fr ◹
Cette conviction totale en l’objectivité de l’image participe à donner du crédit à l’utilisation de dispositifs de visions dans un climat de peur et d’incertitude et conduit à des décisions politiques d'équipement intrusif.
Avec la peur et la culture insinueuse de la surveillance intervient le besoin et la tentation du service comme le décrit Pierre-Damien Huyghe2.
2Huyghe, P. (2022). Numérique - La tentation du service.
Il nous faut désormais affronter un risque nouveau : celui de la perversité d’objets à double sens, ou à double fonction.
Ce sont des problématiques sociales qui mènent à des dérives de surveillances publique, le plus souvent au niveau des administrations publiques telles que les mairies, qui face à des problèmes de délinquances se laissent séduire par des solutions de surveillance massives et extrêmes. Les entreprises privées comme IBM, Thalès et bien d’autres parviennent à crédibiliser leurs propositions de dispositifs de vision. À travers de la reconnaissance faciale, des micros ou des technologies de traitement de l’information, ces entreprises privées ont un intérêt économique énorme à faire des villes des terrains d’expérimentations de surveillance totale. Cette forme de privatisation économique de la surveillance provoque tout de même des mouvements contestataires, dans des domaines variés autant créatifs que techniques ou encore législatifs.
Le 19 juillet 2022, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) publie sa position face au déploiement de caméras de surveillance dites intelligentes, des dispositifs de vision augmentée d’analyse par intelligence artificielle capables de déterminer des informations privées sur les individus filmés, comportements et attributs3.
Le propos est clair : la CNIL estime que la loi française ne devrait pas autoriser l’usage, par la puissance publique, des caméras « augmentées » pour la détection et de poursuite d’infractions. Pour autant à Toulouse, Valenciennes ou Paris, on expérimente la vidéosurveillance « intelligente » pour imposer la reconnaissance faciale.
“Partout sur le territoire français, la Smart City révèle son vrai visage : celui d’une mise sous surveillance totale de l’espace urbain à des fins policières.”Voici comment le manifeste de Technopolice introduit son propos. Ce mouvement appelle à une résistance systématique contre la mise en place de tels dispositifs de vision. Avec une activité riche, le mouvement Technopolice propose de nombreux projets, événements et outils au service des citoyens. Du partage de documents à imprimer pour être placardé en ville au tutoriel pour partager des informations de manière invisible en ligne, les ressources en ligne sont nombreuses et révèlent les problématiques actuelles en jeu.
Le 15 Mars 2023, Technopolice publie un article contre la vidéosurveillance algorithmique de la loi JO en partageant une pétition s’adressant aux élues et élus. En effet, à travers l’article 7 du projet de loi relatif aux Jeux Olympiques 2024, le gouvernement entend légaliser la vidéosurveillance algorithmique (VSA). Le 23 Mars, l’Assemblée nationale adopte tout de même l’article du projet de loi4.
Le 24 mai 2022 la Quadrature du Net veut déposer une plainte collective contre «la surveillance de l’espace public mise en place par le ministère de l’intérieur». Avec cette action contre l’État, l’association espère contrer la surveillance de masse qui se développe à travers nos sociétés qu’elle décrit comme illégale par son aspect «inutile et disproportionné». Toute cette surveillance existe à travers une infrastructure de plus en plus invisible, qui profite à un système de pouvoir partagé entre Etat et multinationales mais qui jamais ne semble respecter la vie privée.
On est donc face à une ontologie complexe de la surveillance, une définition multiple qui nécessite d’être décryptée, disséquée et analysée afin d’apporter des clés de lecture et des outils de déconstruction face à ces infrastructures de surveillance.
Dans cette citation, Michel Foucault résume l'idée selon laquelle avec la mise en place d'un tel réseau de surveillance, la collecte d'informations aussi ponctuelle dans le temps soit-elle suffit largement à retracer une activité. Les effets de la surveillance savent se faire ressentir dans la durée, au-delà des réels temps de captation. Cet effet secondaire des surveillances participe à sa banalisation, avec une impression de veille constante, il est bien plus facile d’accepter l'apparition dans nos différents environnements de nouveaux dispositifs.
La notion de surveillance change drastiquement alors que notre environnement socio-technique évolue d’année en année, ces technologies ont un coût social très élevé.
On peut noter une forte multiplication des acteurs, autant sociaux que politiques, privés ou institutionnels de la surveillance. Ce que Olivier Aïm appelle des agencements surveillanciels impliquant des agents. Le sociologue David Lyon montre que ces agents ne sont plus seulement les multinationales qui nous espionnent, mais les individus eux-mêmes, opérant un véritable effacement de rupture entre public et privé5.
5Grassi, Edmondo. « David LYON (2018), The Culture of Surveillance ». Communication. Information médias théories pratiques, no vol. 37/1 (24 avril 2020). doi.org ◹
En septembre 2021, la multinationale Amazon annonce sa nouvelle innovation, la Ring Always Home. Ce drone de surveillance domestique est connecté aux alarmes de la maison et fait des rondes à travers l’habitat. L’entreprise s’est déjà fait connaître pour son partage d’informations privées avec la police ainsi que les débats qu’elle a pu susciter en intégrant des assistants vocaux directement dans les salons. Cette surveillance initiée par l'attrait du service est pratique, parfois nécessaire, mais souvent détournée de sa finalité première de protection des biens et des personnes pour servir à de plus sombres desseins.
Toujours sous couvert de sécurité, la Ring Always Home illustre ce phénomène en étant un véritable instrument de surveillance qui est installé à l’intérieur même des propriété privées, capable de contrôler l’activité de chaque pièce. Le déploiement de ce genre de système offre directement une portion de vie privée à la police et à l’entreprise sans plus aucun frein pour les multinationales de pénétrer dans la vie privée d’autrui.
La mise en place de mesures à grande échelle lors de la crise sanitaire de 2020 à permis de révéler l’ampleur des dispositifs de surveillance tout en appuyant leur légitimité6.
6Tesquet O. Etat d'urgence technologique, 2021
Très vite à travers le monde se sont mises en place des solutions techniques pour limiter la propagation de l'épidémie. Un programme de surveillance alors clandestin est mobilisé en Israël pour tracker sa population tandis que les Etats-Unis font appel à Facebook et Google pour tracer les flux des habitants. En France, en Chine et partout sur la planète fleurissent des systèmes de ce type afin de pister chaque citoyen, sous l’ordre de la protection. De multiples acteurs privés tel que la NSO on temporairement délaissé le marché de l’armement pour se tourner vers celui de la santé.
À l’image des mesures antiterroristes telles que Vigipirate ou Sentinelle, l'état d’urgence sanitaire à permis une mise en place extrêmement rapide d’une infrastructure de surveillance irréversible. Les objectifs des agencements surveillanciels n'étant plus de savoir quelles sont les activités et intérêts des surveillés mais quels sont leur état de santé. La surveillance traverse une nouvelle frontière dans la vie privée.
Elle prend aujourd’hui de multiples formes, non plus seulement sur- et supra-veillance en opposition à infra- et sous-veillance, mais co-veillance sociale et participative qui se banalise et change les manières d’être au monde (cf schéma “Structure de la visiosphère”).
Chacun se sait surveillé au travers de réseaux sociaux par ses proches ou des communautés, les décisions et le rapport au monde en est grandement influencé.
Les surveillances participatives décrivent des formes de vigilance pratiquées par les individus entre et sur eux-même. Olivier Aïm théorise 3 type de surveillance participative :
Dans d'autres cas l'osint se fait de façon plus spontanée et désorganisée à des fins plus légères comme on a pu l'observer avec la bataille entre des membres du réseau social 4chan et l'artiste et acteur américain Shia LaBeouf et son oeuvre "he will not divide us"8. Avec seulement un live stream filmant un drapeau, les internautes ont pu déterminer à plusieurs reprises la position exacte de celui-ci en des temps record avec comme seul indice la vidéo.
8 "he will not divide us" sur Youtube ◹
Clara Jacquemoud définit différentes formes de “-veillances” sous les noms de micro, macro, mécano, ludo ou para-veillance. Ces néologismes permettent de mettre au jour la diversité de typologie existante dans la surveillance9.
9MODÉRER LA MODÉRATION, 2021.
Micro et macro-veillance implique des biais de discriminations au sein de groupes. Cette notion illustre bien les problèmes d'échelles liés à la surveillance, des micro surveillances ciblées impliquent des intrusions tandis que la macro-veillance manque de discernement. Là où la coveillance implique une surveillance entre des individus d’un groupe, l’alloveillance désigne un regard extérieur sur un ou plusieurs individus. La mécanoveillance décrit la machine algorithmique derrière la surveillance. Enfin, les para et auto-veillance rejoignent les surveillances participatives de David Lyon.
Induit par des réseaux sociaux ou émergents par la présence de dispositifs de vision, tous ces types de veillances se retrouvent à travers les différentes organisations sociales observables.
David Lyon théorise aussi la notion de surveillance liquide pour décrire cette propagation et cette infiltration dans chaque recoin de notre environnement physique et psychologique. L'infra-visio-sphère est un lit pour les fleuves de surveillances fluides et multiples qui s'écoule dans la société. Mais en s’infiltrant partout, ce nouveau paradigme technologique constitue autant d’opportunités de s’accaparer ces technologies. Des opportunités qui s'expliquent notamment par des dynamiques d'ordre géopolitiques.
Comment s’organisent les jeux de pouvoirs et de possessions entre des acteurs privés dont la puissance tend à rivaliser avec celle des États et des gouvernements dont les intérêts de la surveillance semblent tristement évidents ? D’autant que les conflits géopolitiques ne cessent d’éclater et les crises autant sociales que de ressources se multiplient depuis ces dernières années. Les infrastructures numériques, comme les réseaux de télécommunications, les centres de données ou les satellites, sont des ressources stratégiques pour les États.
“Les gouvernements ont cette croyance dans la technologie qui permettrait de garantir un contrôle social de la population, aussi bien pour trouver des individus dangereux dans le cadre de la lutte antiterroriste que pour contrôler des corps malades dans le cadre d’une pandémie. Cette croyance et ces objectifs sont partagés avec les acteurs industriels et cela nous renvoie à une histoire assez longue de la sous-traitance des capacités régaliennes par des entreprises privées. Ces entreprises-là sont parfois les mêmes qui équipent les régimes autoritaires et [...] les démocraties libérales.”10.10Olivier Tesquet dans Hacker Protestant, Dorne G. 2022
Le contrôle de ces infrastructures peut donner un avantage économique et militaire sur d’autres pays, en permettant par exemple de fournir des services de télécommunications de qualité supérieure ou de collecter des données à grande échelle. Elles peuvent également être utilisées comme instruments de pression ou de sanction, en bloquant par exemple l’accès à des services ou en interceptant des communications.
En août 1964 l’organisation International Telecommunications Satellite Consortium (Intelsat) est créée avec 15 pays membres puis 63 en 1972. Un projet aussi technique et symbolique est censé ouvrir la voie à la communication libre et internationale. Mais en 2001, Intelsat devient une société privée sous le nom Intelsat Ltd. Cet événement montre bien le phénomène de privatisation jusque dans les extrêmes d’un écosystème de vision. Ce n’est plus juste un problème de surveillance au niveau urbain ou domestique, mais bien un problème de dynamique sociale et politique aux échelles nationale et internationale.
Ces différentes structures sont contrôlées par des acteurs mus d’un désir de profit ou par des positions politiques et éthiques discutables hors de toute forme de consentement commun. Irénée Régnauld et Yaël Benayoun nous révèlent et dénoncent les manœuvres mises en place par les industries et pouvoirs publics pour tenir les citoyens et les travailleurs à l’écart des choix technologiques, en excluant tout processus démocratique11.
11Irénée Régnauld et Yaël Benayoun, Technologies partout, démocratie nulle part. septembre 2020
«La technologie implique des changements profonds de société. L’un des raccourcis les plus courants est de dire que la technologie serait neutre, c’est-à-dire ni bonne ni mauvaise, que tout dépendra de l’usage que l’on en fait. Dire cela, c’est nier que les objets techniques et technologiques modifient considérablement notre espace social puisqu’ils en font partie et le structurent.»Notre environnement baigne dans une aura fantosmatique (des champs qui nous hantent autant qu’ils nous font fantasmer) de fréquences, de signaux et de datas12.
12 Théorisation du therme "fantosmatique" ◹
Cette aura fantosmatique repose sur un réseau complexe de signaux, avec ou sans fil. C’est un système complexe de câbles, de données et de signaux provenant de points d’accès, de tours de téléphonie mobile et autres satellites qui nous entourent mais surtout de nombreux data centers. Cette aura fantosmatique constitue un invisible, celui de l'infrastructure du numérique. Cette dynamique d'invisibilisation des structures numériques, principalement provoquée par les géants du web, n’admet pas de retour en arrière ou de débat sur ses modalités, alors même qu’elle nous pousse dans une impasse écologique absolue13.
13Lopez, F. (2022). À BOUT DE FLUX.
Le projet de Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon Atlas of the cloud tente de tracer un répertoire de cet environnement technique omniprésent et ses effets dévastateurs. Avec côte à côte des images représentant le rêve américain de la consommation numérique et des images du désastre autant écologique que social que les infrastructures impliquent, cette œuvre vertigineuse nous rappelle l’impact réel du “cloud”. Triste satire de notre réalité, Atlas of the cloud dégage notamment l’omniprésence d’infrastructures lourdes et consommatrices nécessaires au développement aveuglé de la surveillance14.
C'est sur cette même infrastructure que prolifèrent les dispositifs de vision. Des fréquences particulières, des sous réseaux localisés, ou des communications dédiées, une part de ces fondations appartient à la surveillance.
Combien d’objets du quotidien n’existent pas en version «intelligente», «connectée» ? Cette connectomanie s’inscrit dans un technosolutionnisme excessif. En 2022, c’est à 30 Milliards que s'élèvent les estimations du nombre d’objets connectés dans le monde.
Les différentes échelles de dispositifs de vision révèlent des capacités d’actions variées entre acteurs individuels et multinationales. Ces terminaisons nerveuses de captation semblent se démarquer en plusieurs types qui peuvent s’organiser selon différents arrangements et catégories. D’abord les infrastructures lourdes, antennes réseaux, satellites, câbles sous-marins qui supportent le numérique et les outils dématérialisés de surveillance.
Ensuite, les technologies portables qui s’infiltrent à travers nos divers appareils numériques du quotidien. Gyroscope, caméra, micro ou boussoles numériques sont monnaie courante dans la plupart de nos appareils. Enfin, il y a les informations lumineuses, ces signaux numériques qui traversent notre réalité de relais en relais sur des fréquences variées mais toujours bien loin de notre spectre de perception. Il est intéressant de noter que les infrastructures techniques importantes semblent majoritairement s’inscrire dans des usages de surveillance «du dessus», calqués sur le modèle du Panoptique.
Les air-tags, dernière trouvaille d’Apple affublés de nombreuses polémiques, démontrent parfaitement cette course au voyeurisme sous les appellations «service» et «praticité». La Google home, aujourd'hui bientôt désuète, est un parfait appareil de captation domestique.
Mais plus subtilement se camouflent dans ce champ numérique ambiant des technologies plus invisibles comme par exemple la détection de positions exacte de personnes dans un lieux par la simple présence d’infrastructure Wifi15.
15 Geng J., Huang D., De la Torre F. 2022. DensePose From WiFi. Publication ◹
Face à cet espionnage tentaculaire et multiple, les mouvements activistes qui se développent sont à l’image de la Volte dans la zone du dehors, œuvre de fiction écrite par Alain Damasio16.
16 Damasio A. (1999). La Zone Du Dehors.
Ce roman décrit un monde excessivement contrôlé dans lequel tout le monde surveille tout le monde. Tout est enregistré pour être comparé et classé. Dans cette société, pas si éloignée du système de crédit social qui sévit actuellement en Chine, le statut conditionne les endroits accessibles de la ville ainsi que les privilèges.
Les personnages principaux : captp, slift, brihx dont le nom en suite de caractères déshumanisants reflète directement la position alphabétique dans le classement social, et « La Volte », un groupe révolutionnaire qui lutte contre cette société, engagent des actions pacifistes pour glisser vers des coups d’éclats violents et dangereux. Avec la perte d’identité et d’humanité impliquée par le classement social alphabétique, Alain Damasio conceptualise les dérives absolues de la surveillance qui menace de prendre place aujourd’hui. Dans notre version de la réalité, le contrôle total semble être une suite logique dans la progression de nos environnements techniques et des choix de sociétés.
Le panopticon est une architecture carcérale circulaire qui expose chaque individu à la vision absolue de la tour centrale, imaginée par le philosophe Jeremy Bentham à la fin du XVIIIᵉ siècle. C'est dans cet écosystème voyeuriste, à l'image du panopticon, que se développent diverses formes de résistances.
La carte participative Openstreetmap recense toutes les caméras de surveillance urbaine sur une grande partie du globe, avec une indication sur la nature privée ou publique du dispositif. On peut mettre en relation ce mouvement avec les idées de Jean-Gabriel Ganascia, qui en 2009, introduit la notion de catopticon, comme antonyme au panopticon, dans son ouvrage Voir et pouvoir : qui nous surveille ?17
17Tiphaine Zetlaoui, « Jean-Gabriel Ganascia, Voir et pouvoir : qui nous surveille ? », Questions de communication, 17 | 2010, mis en ligne le 23 janvier 2012.
Il semblerait qu’un changement d’angle de vision de ce type, vers une surveillance réciproque conduirait à de meilleures relations sociales grâce une transparence de nos sociétés, mais les faits montrent le contraire. La surveillance a entraîné une forme de plasticité de nos sociétés, mais cela s’est fait au détriment des individus.
Les critical infrastructure studies sont des études qui portent sur les infrastructures dont la perte ou la perturbation serait susceptible de causer des dommages graves à la société. Ces infrastructures peuvent être des réseaux de transport, des réseaux électriques, des installations de traitement de l’eau, des centres de communication, etc. Les critical infrastructure studies visent à comprendre les vulnérabilités pour élaborer des stratégies de protection contre les risques potentiels.
L’aspect tacite de la surveillance, lié à sa surconsommation, ont permis la construction de systèmes entièrement basés sur l'existence de dispositifs de vision. Parce que les dispositifs de vision sont considérés comme partie intégrante voire exclusive de la protection d’un système, la vulnérabilité du système n’est pas prise en compte dans son ensemble, faisant de ces systèmes des infrastructures critiques.
Alain Findeli développe dans ses écrits le concept d'habitabilité du monde. Les designers pensent le monde comme un projet à réaliser et pas seulement comme un objet à décrire et à comprendre. Ils s'engagent dans des idéologies dans leur démarche, idéologies qui doivent être explicitées et justifiées dans le but d'améliorer l'habitabilité du monde, à tous les niveaux : matériel, psychosocial, culturel/spirituel.
De cette façon, il semble que le traitement, la déconstruction et le remaniement de l'environnement numérique prennent une place énorme dans l'habitabilité du monde. Ces idéologies pour le niveau culturel concernent surtout la vie privée, les organisations sociales équitables et les droits des civils. Mais aussi au niveau matériel avec la conception ou la re-conception de technologies qui n'impliquent aucune forme de surveillance abusive.
Parmi les artistes activistes se dégage très nettement Dries Depoorter et ses œuvres sur la surveillance de masse. Surveillance Paparazzi est un périscope moderne, révélant autant la lourdeur des infrastructures que ses fragilités en termes de cybersécurité. Les questions éthiques que soulève cette œuvre sont centrées sur la critique d’un environnement de surveillance tacite et invisibilisé. Un rien de technologie aujourd’hui permet de retrouver, pister, surveiller n’importe quel individu.
Et avec une approche plus "hertzienne", Julian Oliver est artiste activiste mais aussi « ingénieur critique » néo-zélandais basé à Berlin18.
EN 2016, il propose le dispositif CYBORG UNPLUG, un anti-routeur dont l’objectif sera de bloquer le maximum d’appareils identifiés comme nuisibles susceptibles de menacer l’intimité et la vie privée (Google Glass, Dropcam, drones, microphones sans fil, etc..). Avec le logiciel Glasshole.sh, Julian Oliver subvertit directement les infrastructures utilisées par les services de surveillance pour les désactiver et les mettre hors réseaux.
Pour dénoncer des pratiques plus intrusives liées aux activités des méga-corporations, l’artiste Lauren McCarthy se glisse dans la peau de l’assistante domestique Alexa. Avec une supervision quasi totale de la vie privée des individus qu’elle observe. Avec en plus une capacité à contrôler la plupart des paramètres de la maison (température, TV, radio, lumières, cuisine…) l'œuvre intitulé “LAUREN” questionne autant les frontières dans les relations humain-machine que la puissance intrusive exercée par Amazon19.
19« LAUREN — Lauren Lee McCarthy ». lauren-mccarthy.com ◹
L'artiste Paolo Cirio propose l'œuvre Overexposed : neuf photos non autorisées de hauts responsables des services de renseignement américains de la NSA, de la CIA, des NI et du FBI, liés aux révélations d’Edward Snowden. C’est ici l’arroseur arrosé que propose l’artiste, les voyeurs vus, en dévoilant aux yeux du monde les personnes responsables des yeux sur le monde.
D'une manière plus cyber-anarchiste, les mouvements artistiques critiques prennent parfois la forme de dispositifs de piratage. Par exemple, le projet Aether Mashup de Clément Renaud, qui infiltre les réseaux wifi pour intercepter des données et les exposer au grand public. Avec cette œuvre, la fragile invisibilité des données sans fil devient une source critique de subversion.
Ces réutilisations, assemblages et appropriations de technologies outillent l’activisme. Par la conception et le détournement, ces artistes ouvrent à de nouveaux possibles de révolte. Les intentions qui émergent de ces différentes démarches dévoilent la présence constante de dispositifs de visions et d'outils d’enregistrements. Les méthodes ainsi que l’outillage par le design répondent à ces intentions et c’est dans la subversion, le détournement et la ré-imagination de ces dispositifs que j’inscris ma démarche.